GEORGES SIMENON
Le petit Docteur
Nouvelles
nrf
Avant-propos
Les treize nouvelles qui composent levolume Le Petit Docteur ont t composes par Georges Simenon en mai 1938, LaRochelle. Elles ont dabord paru, raison dun fascicule par rcit, dans lacollection Police-Roman de la Socit Parisienne dEdition, en 1939, 1940 et1941, dans un ordre diffrent de celui du volume. La premire nouvelle publie(Police-Roman N76) tait intitule : Rendez-vous avec un Mort ; ellechangera de titre et deviendra Le Flair du Petit Docteur. Suivront : LaDemoiselle en bleu ple. (PR N79), Une Femme a cri (PR N82), Le Fantme deMonsieur Marbe (PR N85), Les Maris du 1er Dcembre (PR N88), LeMort tombe du Ciel (PR N91), La Sonnette dAlarme (PR N94), Le Passager etson Ngre (PR N97), La Piste de lHomme roux (PR N100), LAmiral a disparu(PR N103), La Bonne Fortune du Hollandais (PR N106), Le Chteau de lArsenic(PR N108), LAmoureux aux Pantoufles (PR N112).
Le volume Le Petit Docteur futpubli pour la premire fois en 1943 par les ditions Gallimard, sans tirage dette.
G. Sx.
Le flair du petit Docteur
La consultation sans malade
All ! Cest le docteurlui-mme qui est lappareil ? All ! Ne coupez pas
La voix, lautre bout du fil,tait anxieuse. Le Petit Docteur, au contraire, comme tout le monde lappelait,venait de rentrer de tourne et reniflait la bonne odeur de ragot de moutonqui parfumait sa maison. Dehors, il faisait torride. Dedans, persiennes closes,la fracheur tait savoureuse comme un bain.
coutez-moi, docteur Je voustlphone de la Maison-Basse Il faut que vous veniez tout de suite
La jeune femme ?Questionna le Petit Docteur.
Venez vite Je compte survous, nest-ce pas ? Il est absolument ncessaire que vous veniez tout desuite
Est-ce que je dois
Il allait demander sil devaitemporter sa trousse, ou des produits spciaux. On avait dj raccroch. Juste ce moment, son regard tait fix sur lhorloge de la salle manger, mais ctaitun de ces regards un peu vagues quont la plupart des gens quand ilstlphonent.
Enfin ! Il alluma unecigarette Il annona, par lentrebillement de la porte de la cuisine, quilne rentrerait pas avant une bonne demi-heure Dehors, sa voiture deux placestait en plein soleil, les coussins brlaient
Cest alors, linstant o ilsortait du village et se dirigeait vers le marais, par la route sans ombrage,borde de fosss, que le Petit Docteur frona les sourcils et faillit, tant ilrflchissait, accrocher une charrette de foin.
Il ne se doutait pas, pourtant,quil vivait linstant le plus important de sa vie, ni que, de la pense quilui traversait lesprit, de graves vnements dcouleraient ; encore moinsque, de ces vnements, il lui resterait une passion nouvelle et quil seraitun jour clbre dans un domaine tout diffrent de celui de la mdecine.
Ce nest pas possibleLhorloge ntait pas arrte
Il revoyait le cadran glauque, dansla salle manger, les aiguilles largement cartes, marquant midi vingt-cinq.Il regarda sa montre. Elle marquait midi et demi.
Or la Maison-Basse, l -bas, au fonddu marais, non loin de la cte, tait relie tlphoniquement Esnandes, levillage que le docteur ne tarderait pas atteindre. Et la poste dEsnandes, onsen plaignait assez dans le pays, tait ferme de midi deux heures.
Il faillit faire demi-tour, en sedisant que ce coup de tlphone tait sans doute une mauvaise plaisanterie.Mais il tait dj loin. La route ntait pas assez large pour tourner. Ilhaussa les paules, traversa Esnandes, vira gauche dans un mauvais chemin.
Comment le type avait-il encore ditquil sappelait ? Drouin ! Jean ou Jules Drouin ! Et il devaity avoir maintenant un peu plus de six mois quil avait lou la Maison-Basse.Une maison qui tait vide depuis des annes, parce quelle tait trop loin duvillage, dans le marais, et que lhiver il fallait tablir des passerelles pouren sortir. Une longue maison basse, sans tage, blanchie la chaux, au toit detuiles roses comme tous les toits charentais.
On avait vu les persiennes ouvertes,fin de lhiver. Puis on avait aperu un couple assez inattendu dans lepays : dabord un grand jeune homme un peu dgingand, toujours vtu dunpantalon de flanelle grise, despadrilles et dun pullover jaune manchescourtes ; puis une jeune femme trs jolie, qui prenait des bains de soleildans le jardin.
Des artistes ! disaientles gens du pays.
Ils ne travaillaient pas. Ilsnavaient pas de bonne. Ctait lhomme qui venait faire son march lpicerie du village. Jamais de chapeau sur ses cheveux chtains, mais parcontre il laissait envahir tout le bas de son visage dune barbe courte etdrue.
Un soir, il y avait dj trois ouquatre mois, le docteur avait t surpris de le voir install dans la salledattente. Linconnu stait prsent.
Drouin Je suis le nouveaulocataire de la Maison-Basse Oh ! Je ne suis pas un malade trsintressant Mon amie encore moins Seulement je souffre dinsomnies Jevoudrais que vous mordonniez un produit trs agissant, mais pas dangereux
Le docteur avait voulu lui prescriredes cachets.
Jaimerais mieux une drogue diluer dans leau Jai la gorge assez sensible et javale difficilement lescachets
Il tait sympathique, au docteurtout au moins. Plutt attirant. On avait envie den apprendre davantage sur soncompte. Il y avait surtout son sourire, un peu lointain, un peu triste, commele sourire de certains tuberculeux qui se savent condamns.
Je vous remercie, docteur Quest-ceque je vous dois ?
Nous verrons cela une autreoccasion
Je crains quil ny ait pasbeaucoup doccasions
Le docteur avait trente ans. Ilnexerait dans le pays que depuis deux ans, et, tant cause de sa petitetaille que de sa gentillesse, de sa simplicit, peut-tre aussi cause de saminuscule 5 CV qui ptaradait toute la journe le long des chemins, onlappelait affectueusement le Petit Docteur.
Combien de fois avait-il vu lafemme ? Il lavait entrevue loccasion, quand il passait devant laMaison-Basse pour aller la ferme du Renard. Elle devait tre gaie, affranchiede prjugs. Pour tout dire, on avait limpression dun couple damantsforcens vivant dans lisolement absolu leur aventure merveilleuse.
Une fois, pourtant Le docteur taiten panne dans le marais. Elle passait
Alors, votre compagnondort-il mieux ? Le mdicament fait-il son effet ? lui avait-ildemand.
Elle avait paru surprise :
Que voulez-vous dire ?
Rien Je voulais savoir
Lauto sarrta au bord du foss,quenjambait un frle pont de bois. Contre les murs clatants de la bicoque,les graniums mettaient une tache vive, les hortensias une tache plus discrteet plus suave.
Les volets taient ouverts, mais lesfentres closes. Personne ne savanait pour accueillir le mdecin. Celui-ciheurta la porte vitre que voilait un rideau petits carreaux rouges.
Peut-tre une fois encore le PetitDocteur eut-il confusment lenvie de faire demi-tour, mais sa main se tenditmachinalement vers la poigne de fer. La porte cda. Une bouffe de fracheurvenait de lombre de la cuisine qui servait de salle manger.
Quelquun ! cria-t-il.
La situation tait gnante. Il sefaisait lui-mme limpression dun indiscret.
Quelquun ! H !Monsieur Drouin !
Il crut quon avait boug dans lapice voisine ; ce ntait quun chat gris, qui glissa le long de sesjambes et sortit. La seconde pice tait la chambre coucher, meuble dunefaon assez originale, et Drouin avait d faire certains meubles lui-mme.
Il y avait un grand divan quiservait de lit, et ce divan tait dfait, on y voyait encore, en creux, latrace dun corps. Quant au tlphone
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