coll. - Débattre des enjeux : complexité et action publique

par Gabriela Ramos, Directrice de Cabinet du Secrtaire gnral de lOCDE et Sherpa pour le G20

LOCDE senorgueillit du rle essentiel quelle joue pour rconcilier lconomie avec la nature et la socit. lheure actuelle, la communaut internationale a du mal apprhender pleinement le programme daction qui en dcoule et lui donner corps. Pour y parvenir, nous devons amliorer nos cadres danalyse, nos instruments daction et nos modles.

Il y a presque dix ans, la crise financire a eu leffet dun lectrochoc, mettant en vidence linadquation de nos approches en matire daction publique. Dautres tendances lourdes, toutefois, voluaient galement dans la mauvaise direction. Ce quil faut le plus reprocher nos approches conomiques est peut-tre lchec de la communaut internationale faire natre une vritable mobilisation pour lutter contre le changement climatique. La surconsommation des ressources de la plante est un autre problme connexe : nous avons besoin d1.6 Terre pour subvenir nos besoins, cest--dire quil nous faut 1 anne et 7 mois pour rgnrer ce que nous consommons en une anne.

Par ailleurs, dans de nombreux pays de lOCDE, les ingalits nont cess de se creuser pour atteindre un niveau critique qui fragilise la cohsion sociale et la confiance tout en nuisant la croissance et au bien-tre. Cette course permanente vers toujours plus de croissance et de consommation, le traitement conventionnel de la dgradation de lenvironnement et des ingalits de revenu, perues comme des externalits ou des dfaillances marginales du march, et laffirmation selon laquelle les individus, avec les moyens leur disposition, sorganiseront deux-mmes en un tat socialement souhaitable, sont des lments du problme. Se borner amliorer le mode de fonctionnement des marchs ne suffira pas rsoudre les difficults auxquelles nous sommes confronts. Alan Kirman fait valoir que le paradigme actuel nest ni valid par les faits ni ancr dans un fondement thorique solide.

Les conomistes et les responsables de laction publique nont pas russi apprhender la complexit du comportement humain et des systmes dans lesquels nous vivons. Une approche tenant compte de la complexit nous permet denvisager des systmes de systmes forms de grandes quantits dlments individuels qui interagissent de faon complique, quil sagisse dcosystmes, de marchs de capitaux ou de rseaux nergtiques, ou encore de phnomnes de socit comme lurbanisation ou les migrations.

Une telle approche remet galement en question la pense dominante sur des questions essentielles. titre dexemple, selon la courbe de Kuznets, les ingalits de revenu devraient dans un premier temps saccentuer, puis se rduire mesure que le revenu des pays augmente. Les donnes concrtes ne semblent pas corroborer cette thse. Dans cet ouvrage, une approche de Csar Hidalgo et al. fonde sur la complexit conomique donne penser que les ingalits dpendent non seulement du taux ou du stade de croissance dun pays, mais aussi du type de croissance et des institutions qui y prvalent.

En conomie, nous continuons de parler de flux, de masses, dquilibre etc. (danalyse des changes par un modle de gravit, par exemple). Or ces termes relvent de la physique classique , davant la relativit et la thorie quantique. Les nouvelles sciences de la complexit peuvent apporter des clairages grce auxquels mieux comprendre comment des groupes dindividus se comportent effectivement lorsquils (r)agissent ensemble au sein de systmes conomiques et socio-politiques. Ces systmes noprent pas simplement en tant que srie dactions et ractions, mais sont justiciables de proprits telles que rtroaction, non-linarit, points de bascule, singularit, mergence, et de toute autre caractristique des systmes complexes.

Sinspirant de linitiative de lOCDE relative aux Nouvelles approches face aux dfis conomiques (NAEC), le prsent ouvrage Dbat tre des enjeux : Complexit et action publique donne des informations dtailles sur les nouveaux cadres qui permettent de mieux cerner les complexits des conomies et des socits modernes. Nos conomies ne sont pas des systmes ferms dquilibre gnral ; il sagit de systmes complexes adaptatifs, propres des socits spcifiques ayant leur propre histoire, leur propre culture et leurs propres valeurs, ainsi qu des environnements naturels rgis par les lois de la biophysique.

Plusieurs conomistes minents ont rpondu cet appel en faveur dune nouvelle approche de llaboration des politiques. Selon Andy Haldane, Chef conomiste de la Banque dAngleterre, linitiative NAEC et la volont de lOCDE de travailler sur une approche fonde sur la complexit placent lOrganisation en premire ligne pour faire entrer lanalyse conomique et llaboration des politiques dans le xxie sicle . De son ct, Eric Beinhocker, de lInstitute for New Economic Thinking, exprime le souhait que lOCDE continue, par le biais de linitiative NAEC entre autres, de jouer un rle de premier plan dans la nouvelle pense conomique, non seulement dans un sens technique troit, mais au sens large, pour contribuer faire natre une nouvelle vision qui replace lhumain au centre de notre conomie .

Dans ma conduite des initiatives relatives aux NAEC et la Croissance inclusive, jai port au sein de lOCDE, dans les pays membres comme dans les pays Partenaires cls, de mme quau G20, lide selon laquelle la croissance conomique est un moyen et non une fin en soi. Cet ouvrage de la srie des Essentiels de lOCDE fait valoir que nos efforts pour comprendre la croissance conomique en tant que moyen damliorer le bien-tre pourraient bnficier dune approche faisant de la croissance inclusive le rsultat dinteractions complexes entre lconomie, la politique, la psychologie, la culture, lhistoire, lenvironnement et lambition.