Colette - Sido
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- Book:Sido
- Author:
- Publisher:Le Livre de Poche
- Genre:
- Year:2011
- Rating:4 / 5
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Sido: summary, description and annotation
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Sido — read online for free the complete book (whole text) full work
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COLETTE
SIDO
(1930)
Et pourquoi cesserais-je dtre de mon village ? Il ny faut pas compter. Te voil bien fire, mon pauvre Minet-Chri, parce que tu habites Paris depuis ton mariage. Je ne peux pas mempcher de rire en constatant combien tous les Parisiens sont fiers dhabiter Paris, les vrais parce quils assimilent cela un titre nobiliaire, les faux parce quils simaginent avoir mont en grade. ce compte-l, je pourrais me vanter que ma mre est ne boulevard Bonne-Nouvelle ! Toi, te voil comme le pou sur ses pieds de derrire parce que tu as pous un Parisien. Et quand je dis un Parisien Les vrais Parisiens dorigine ont moins de caractre dans la physionomie. On dirait que Paris les efface !
Elle sinterrompait, levait le rideau de tulle qui voilait la fentre :
Ah ! voici Mlle Thvenin qui promne en triomphe, dans toutes les rues, sa cousine de Paris. Elle na pas besoin de le dire, que cette dame Quriot vient de Paris : beaucoup de seins, les pieds petits, et des chevilles trop fragiles pour le poids du corps ; deux ou trois chanes de cou, les cheveux trs bien coiffs Il ne men faut pas tant pour savoir que cette dame Quriot est caissire dans un grand caf. Une caissire parisienne ne pare que sa tte et son buste, le reste ne voit gure le jour. En outre, elle ne marche pas assez et engraisse de lestomac. Tu verras beaucoup, Paris, ce modle de femme-tronc.
Ainsi parlait ma mre, quand jtais moi-mme, autrefois, une trs jeune femme. Mais elle avait commenc, bien avant mon mariage, de donner le pas la province sur Paris. Mon enfance avait retenu des sentences, excommunicatoires le plus souvent, quelle lanait avec une force daccent singulire. O prenait-elle leur autorit, leur suc, elle qui ne quittait pas, trois fois lan, son dpartement ? Do lui venait le don de dfinir, de pntrer, et cette forme dcrtale de lobservation ?
Ne leuss-je pas tenu delle, quelle met donn, je crois, lamour de la province, si par province on nentend pas seulement un lieu, une rgion loigns de la capitale, mais un esprit de caste, une puret obligatoire des murs, lorgueil dhabiter une demeure ancienne, honore, close de partout, mais que lon peut ouvrir tout moment sur ses greniers ars, son fenil empli, ses matres faonns lusage et la dignit de leur maison.
En vraie provinciale, ma charmante mre, Sido , tenait souvent ses yeux de lme fixs sur Paris. Thtres de Paris, modes, ftes de Paris, ne lui taient ni indiffrents, ni trangers. Tout au plus les aimait-elle dune passion un peu agressive, rehausse de coquetteries, bouderies, approches stratgiques et danses de guerre. Le peu quelle gotait de Paris, tous les deux ans environ, lapprovisionnait pour le reste du temps. Elle revenait chez nous lourde de chocolat en barre, de denres exotiques et dtoffes en coupons, mais surtout de programmes de spectacles et dessence la violette, et elle commenait de nous peindre Paris dont tous les attraits taient sa mesure, puisquelle ne ddaignait rien.
En une semaine elle avait visit la momie exhume, le muse agrandi, le nouveau magasin, entendu le tnor et la confrence sur la Musique birmane . Elle rapportait un manteau modeste, des bas dusage, des gants trs chers.
Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint vermeil que la fatigue rougissait, elle revenait ailes battantes, inquite de tout ce qui, priv delle, perdait la chaleur et le got de vivre. Elle na jamais su qu chaque retour lodeur de sa pelisse en ventre-de-gris, pntre dun parfum chtain clair, fminin, chaste, loign des basses sductions axillaires, mtait la parole et jusqu leffusion.
Dun geste, dun regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait des bolducs roses, dchanait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers noirs goudronns qui sentaient le calfatage. Elle parlait, appelait la chatte, observait la drobe mon pre amaigri, touchait et flairait mes longues tresses pour sassurer que javais bross mes cheveux Une fois quelle dnouait un cordon dor sifflant, elle saperut quau granium prisonnier contre la vitre dune des fentres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu, vivant encore. La ficelle dor peine droule senroula vingt fois autour du rameau rebout, tay dune petite clisse de carton Je frissonnai, et crus frmir de jalousie, alors quil sagissait seulement dune rsonance potique, veille par la magie du secours efficace scell dor
Il ne lui manquait, pour tre une provinciale type, que lesprit de dnigrement. Le sens critique, en elle, se dressait vigoureux, versatile, chaud et gai comme un jeune lzard. Elle happait au vol le trait marquant, la tare, signalait dun clair des beauts obscures, et traversait, lumineuse, des curs troits.
Je suis rouge, nest-ce pas ? demandait-elle au sortir de quelque me en forme de couloir.
Elle tait rouge en effet. Les pythonisses authentiques, ayant plong au fond dautrui, mergent demi suffoques. Une visite banale, parfois, la laissait cramoisie et sans force aux bras du grand fauteuil capitonn, en reps vert.
Ah ! ces Vivenet ! Que je suis fatigue Ces Vivenet, mon Dieu !
Quest-ce que quils tont fait, maman ?
Jarrivais de lcole, et je marquais ma petite mchoire, en croissants, dans un talon de pain frais, combl de beurre et de gele de framboises
Ce quils mont fait ? Ils sont venus. Que mauraient-ils fait dautre, et de pire ? Les deux jeunes poux en visite de noces, flanqus de la mre Vivenet Ah ! ces Vivenet !
Elle ne men disait gure plus, mais plus tard, quand mon pre rentrait, jcoutais le reste.
Oui, contait ma mre, des maris de quatre jours ! Quelle inconvenance ! des maris de quatre jours, cela se cache, ne trane pas dans les rues, ne stale pas dans des salons, ne saffiche pas avec une mre de la jeune marie ou du jeune mari Tu ris ? Tu nas aucun tact. Jen suis encore rouge, davoir vu cette jeune femme de quatre jours. Elle tait gne, elle, au moins. Un air davoir perdu son jupon, ou de stre assise sur un banc frais peint. Mais lui, lhomme Une horreur. Des pouces dassassin, et une paire de tout petits yeux embusqus au fond de ses deux grands yeux. Il appartient un genre dhommes qui ont la mmoire des chiffres, qui mettent la main sur leur cur quand ils mentent et qui ont soif laprs-midi, ce qui est un signe de mauvais estomac et de caractre acrimonieux.
Pan ! applaudissait mon pre.
Bientt javais mon tour, pour avoir sollicit la permission de porter des chaussettes lt.
Quand auras-tu fini de vouloir imiter Mimi Antonin dans tout ce quelle fait, chaque fois quelle vient en vacances chez sa grand-mre ? Mimi Antonin est de Paris, et toi dici. Cest laffaire des enfants de Paris de montrer lt leurs fltes, sans bas, et lhiver leurs pantalons trop courts et de pauvres petites fesses rouges. Les mres parisiennes remdient tout, quand leurs enfants grelottent, par un petit tour de cou en mongolie blanche. Par les trs grands froids, elles ajoutent une toque assortie. Et puis on ne commence pas onze ans porter des chaussettes. Avec les mollets que je tai faits ? Mais tu aurais lair dune sauteuse de corde, et il ne te manquerait quune sbile en fer blanc.
Ainsi parlait-elle, et sans chercher jamais ses mots ni quitter ses armes, jappelle armes ses deux paires de verres , un couteau de poche, souvent une brosse habits, un scateur, de vieux gants, parfois le sceptre dosier, panoui en raquette trilobe, quon nomme tapette et qui sert fouetter les rideaux et les meubles. La fantaisie de ma mre ne pliait que devant les dates quon fte, en province, par les nettoyages fond, la lessive, lembaumement des lainages et des fourrures. Mais elle ne se plaisait ni au fond des placards, ni dans la funbre poudre du camphre, quelle remplaait dailleurs par quelques cigares coups en berlingots, les culots des pipes dcume de mon pre, et de grosses araignes quelle enfermait dans larmoire giboyeuse, refuge des mites dargent.
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