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LHarmattan, 2016
5-7, rue de lcole-Polytechnique, 75005 Paris
www.harmattan.com
EAN Epub : 978-2-336-77463-3
Frantz Fanon
Comme semailles confies aux sillons du Vent, ces mots
Allons camarades,
il vaut mieux dcider ds maintenant
de changer de bord.
La grande nuit dans laquelle
nous fmes plongs
Il nous faut la secouer et en sortir.
Ces mots inscrits aux dernires pages
du dernier ouvrage quoffrit au monde,
ce digne fils du pays Martinique.
Frantz Fanon vit le jour le 20 juillet 1925. Son pre, Casimir Fanon, douanier, le 14 juin 1920, pouse, Elonore Flicia Mdlice, mercire Fort-de-France, et de cette union naquirent huit enfants.
Joby, de deux ans son an, dans ses mmoires, raconte leurs escapades dadolescents :
[Le march aux fruits et lgumes de Fort-de-France] () laissait au-dessus des grilles un espace suffisant par lequel nous nous glissions pour chaparder mangues, abricots, qunettes, bananes, oranges et autres fruits, plus pour le plaisir que pour la faim et grande tait notre joie quand nous tions pris en chasse par les agents ventripotents et goutteux qui nous coursaient sans jamais pouvoir nous rattraper ()
Nous tions vraiment trs libres et, pour nos parents, seuls comptaient nos rsultats lcole ()
[Avec le temps], nous avions abandonn nos courses vagabondes ; nous pratiquions tous les sports possibles : athltisme, basket, natation ; nous faisions partie chacun dun club de football : Frantz avait choisi le Club Colonial, moi, le Golden Star et Flix, notre frre an, le GoodLuck.
La triplette dattaque de lAssaut de St Pierre
(de gauche droite : Joby, Flix et Frantz Fanon)
A 8000 kilomtres, en Europe, le 1 er septembre 1939, clate la Seconde Guerre Mondiale Le 14 juin 1940, larme franaise capitule ; le 22 juin, le marchal Ptain, nouveau chef du gouvernement, signe larmistice Sous le rgne de Vichy, la France se trouve sous occupation allemande.
Nomm par Vichy Haut Commissaire, lamiral Robert instaure en Martinique un rgime exerant censure et rpression Juin 1943 : le vent commence tourner ; les troupes amricaines occupent lAlgrie et le Maroc ; la Guyane et la Guadeloupe basculent dans le camp gaulliste ; deux mois plus tt, le blocus de la Martinique par les Amricains devient total ; la marine et lentourage de lamiral rquisitionnent pour eux une grande partie des vivres ; lhostilit lgard du rgime samplifie ; le 24 juin, une grande manifestation interdite se droule Fort-de-France aux cris de Vive la France, vive de Gaulle !
Des arrestations ont lieu ; le 27 juin, neuf compagnies du Camp de Balata entrent en rbellion ; lamiral menace de tirer sur les mutins mais face la monte en puissance de la rvolte, il dmissionne Le 14 juillet 1943, dbarque un ministre plnipotentiaire charg dassurer la transition.
Depuis quelques mois, rapporte son frre Joby, sur un vieux poste de TSF, nous coutions les nouvelles de la guerre. La BBC de Londres nous tenait au courant de lvolution de combats et appelait les jeunes la lutte ()
Cest dans ce contexte que prend naissance la Dissidence qualimenteront les dparts clandestins de dizaines de jeunes Martiniquais. Parmi eux, Frantz Fanon : il avait tout juste 18 ans.
Pour rejoindre les Forces Franaises Libres, le 13 juillet 1943, il regagne la Dominique ; son sjour sera de courte dure : faute dobtenir rapidement satisfaction, il retourne en Martinique dbarrasse de lamiral et de ses complices.
Il renoue avec les tudes, passe avec succs les preuves orales du baccalaurat dont, avant son dpart, il avait acquis lcrit.
Toujours habit par le mme idal rejoindre les forces saines de la France pour en chasser les Allemands Frantz Fanon intgre le Bataillon antillais numro 5 cr sur place afin de renforcer les Forces Franaises Libres stationnes en Afrique du Nord.
Le 12 mars 1944, comme de nombreux autres jeunes, il quitte la Martinique pour Casablanca o il dbarque, le 30 mars 1944.
Parmi les Antillais du Bataillon numro 5, trois dentre eux (Mauzole, Manville, Fanon) vu leur niveau scolaire (ils sont bacheliers), catalogus d intellectuels , sont envoys en Algrie, Bougie (aujourdhui Bjaa), lcole daspirants.
Frantz Fanon, rebelle la stricte obissance de la discipline militaire, est lobjet dobservations telles que :
Trs bonne instruction gnrale mais ne fait aucun effort pour tre un bon soldat. Elve intelligent mais de caractre difficile et desprit militaire douteux.
Comme ses deux camarades, il fait savoir quil ne sagit pas de faire carrire dans larme mais daller au front.
Incorpors dans les troupes appeles affronter lennemi sur le continent, ils traversent la Mditerrane, dbarquent prs de Saint-Tropez, avancent vers le nord jusqu la valle du Rhne.
Frantz Fanon est volontaire pour plusieurs missions prilleuses ; le 25 novembre 1944, il est bless la poitrine par des clats dobus Hospitalis, le 27 janvier 1945, il crit sa mre.
Chre petite mre, depuis quelques jours, je sais que tu vas mcrire et tu me parleras de tout ce qui mest cher cest--dire de cette table o toute la famille runie communiait sans le savoir. Eh bien oui, il faut laisser tout cela qui nous paraissait trivial pour constater que seul cela est grand () Quand vous apprendrez mon retour (car je compte retourner, vous lai-je dit ?) vous ne savez pas ce que vous allez faire ? Un grand repas ! Menu : punch au pluriel, blaff () riz poule pois rouge, mangots. Merci.
Le 26 fvrier 1945, aprs un temps de convalescence, il regagne son unit.
Le colonel commandant du 6 eme rgiment dinfanterie coloniale, avec la croix de guerre, lui dcerne la mention suivante :
Le soldat de la 1 ere classe Fanon Frantz, numro matricule 33, a t cit lordre de la Brigade pour sa brillante conduite au cours des oprations de la Boucle du Doubs. Servant de mortier de 81, au Bois de Grappes, a t touch alors quil effectuait un ravitaillement en munitions sous un bombardement de mortiers ennemis.
Le 12 avril, Frantz Fanon crit ses parents :
Un an que jai laiss Fort-de-France. Pourquoi ? Pour dfendre un idal obsolte. () Si je ne retournais pas, si vous appreniez un jour ma mort face lennemi, consolez-vous mais ne dites jamais : il est mort pour la belle cause. Dites : Dieu la rappel lui car cette fausse idologie, bouclier des laciens et des politiciens imbciles, ne doit plus nous illuminer. Je me suis tromp ! Rien ici ne justifie cette subite dcision de me faire le dfenseur des intrts du fermier quand lui-mme sen fout.()
Le 8 mai 1945, larmistice est sign, la guerre termine. Dmobilis, le 12 septembre, il embarque pour la Martinique.
A son retour, renouant avec les tudes secondaires, il sinscrit au lyce Schoelcher pour prparer la deuxime partie du baccalaurat srie philosophie Paralllement ses activits scolaires, il anime des runions de jeunes bacheliers, comme la commune de Sainte-Marie o, courant 1946, il prononce le discours suivant. Extrait :
Je vous exposerai les raisons pour quoi, nous jeunes, affranchis de toute conception politique, nous avons dcid de nous dgager de ce marasme sordide dans lequel nous nous trouvons. () Je risque de faire figure de rvolt mais si rpudier la tradition dsute, si nier le conformisme arbitraire, si protester contre liniquit, si slever contre lasservissement de lesprit au profit de la matire constitue un acte de foi rvolutionnaire alors accablez-moi, alors fustigez-moi, alors condamnez-moi Je vous lance le mot dordre du comit : de lair, de la lumire, de la vrit dans ce chaos indescriptible o, gmissant, croupit une jeunesse ardente. Nous rclamons plus de fentres notre maison ; nous exigeons un difice plus voisin du soleil ()