Catherine Craft - Jasper Johns

crire ce livre fut tant un plaisir quun dfi. Nombreux sont ceux qui mont fourni des informations, mont soutenue et encourage. Je voudrais tout particulirement remercier Richard Shiff, qui a t le premier me contacter au sujet de cette monographie, preuve inestimable du travail rudit de Jasper Johns. Je tiens galement remercier Nan Rosenthal, qui ma gentiment invite parler de luvre de Johns au Metropolitan Museum of Art, et Richard Shone qui, en qualit de rdacteur en chef de The Burlington Magazine ma aussi donn, plusieurs reprises, loccasion dcrire sur lart de Johns. Richard Field, Harry Cooper, Joachim Pissarro, Paul Cornwall-Jones et Tamie Swett mont gnreusement fait part de leurs sentiments concernant le travail de Johns au cours de ces dernires annes, et Sarah Taggart, la conservatrice des uvres de Johns, qui ma t dune aide infaillible et qui a prt une oreille attentive mes questions. Nancy Carr a t la lectrice idale, prenant le temps non seulement de lire le manuscrit mais galement de me faire des remarques constructives, ainsi quAlfred Kren et le reste de ma famille qui ont fait preuve de beaucoup damour et de patience durant tout ce projet. Enfin, je tiens remercier Jasper Johns pour laide quil sut apporter cette monographie et surtout pour son uvre inestimable, magnifique hommage la vie.

White Flag (dtail, taille relle), 1955. Encaustique,

huile, papier journal et charbon sur toile, 198,9 x 306,7 cm .

The Metropolitan Museum of Art, New York.

Art Jasper Johns/Licensed by VAGA, New York, NY

Je me demandais quand jallais cesser daller treun artiste et commencer en tre un.

Les peintres ne sont pas publics mais sont davantage ns dans lintimit. Le public en a fait une activit commerciale ; mais, pour le peintre, lart ne sera jamais public.

Un soir de janvier 1958, le professeur dart de lUniversit de Caroline du Sud, Catharine Rembert, alors de passage New York, attend un ancien lve pour dner. Jasper Johns arrive en retard mais, euphorique, il tente de se faire pardonner en la levant et la faisant danser dans la pice. En ralit, il clbre un succs ahurissant : du haut de ses vingt-sept ans, il vient dinaugurer sa premire exposition en solo, ce qui le propulse la une du magazine Art News et incite le Museum of Modern Art de la capitale amricaine acheter trois de ses uvres. Tout cela en lespace dune journe...

Le succs rencontr par Johns tant sur le plan critique que commercial, loccasion de sa premire exposition, fait figure de lgende dans lhistoire de lart amricain, et ce nest que justice. Tandis que lexpressionnisme abstrait, principale manifestation artistique de lpoque, se concentre sur lexpression dramatique via de lourdes factures gestuelles et de compositions totalement abstraites, les peintures de Johns reprsentant le drapeau amricain, des cibles, des chiffres et lalphabet marquent une envie de sortir de la convention. Bien que peintes avec une attention manifeste, ces toiles semblent motionnellement rticentes, froides et silencieuses, bien loin du feu dartifices motionnel, alors en vogue.

Les artistes de la premire gnration de lexpressionnisme abstrait, dont font notamment partie Jackson Pollock, Willem de Kooning et Mark Rothko, dbutent leur art sous les annes difficiles de la Dpression et de la Seconde Guerre mondiale. En rponse ces circonstances, ils soulignent la centralit de lartiste lui-mme dans la cration de lart et la production dune peinture comme un acte dauthenticit personnelle absolue. Dans les annes 1950, une gnration plus jeune entre en scne ; parmi elle, ils sont nombreux adopter cet tat desprit et, ce qui a longtemps t une attitude existentielle devient rapidement, de par son caractre rptitif, manir et affect. Dans un tel climat, larrive de Johns dans le milieu est la fois un choc et un bol dair.

Quand lexpressionniste abstrait Barnett Newman explique quau lieu d lever des cathdrales au Christ, lHomme ou la vie , lui et ses pairs les ralisent partir de nous-mmes, partir de nos propres sentiments et que Rothko dclare souhaiter que les spectateurs pleurent devant ses toiles, Johns confie dans une de ses premires interviews :

Tout a commenc avec ma peinture reprsentant un drapeau amricain. Utiliser ce design ma dlest dune grande partie du travail car je nai pas eu le concevoir moi-mme. Jai donc continu avec des choses similaires comme des cibles choses que lesprit connat dj. Cela ma laiss le loisir de travailler sur dautres niveaux. Par exemple, jai toujours pens la peinture en tant que surface, peindre en une seule couleur rend cela trs net. Puis jai dcid que regarder une peinture ne devait pas demander une concentration particulire comme cest le cas lorsque vous allez dans une glise. Un tableau devrait tre regard comme on regarde un radiateur.

Untitled, 1954. Huile sur papier monte sur structure,

22,9 x 22,9 cm . The Menil Collection, Houston.

Art Jasper Johns/Licensed by VAGA, New York, NY

Contrairement aux dclarations de la plupart des artistes new yorkais des annes 1950, les remarques de Johns ne mentionnent aucune des notions familires que sont le doute et langoisse existentielle. En outre, son choix du contenu semble dlibr, rflchi et loign de tout attachement motionnel et dsir. Aprs les excs de lexpressionisme abstrait, les plus jeunes artistes voient son art davantage comme lucide et honnte que froid et dpourvu de sentiments ; aprs tout, comme le dira plus tard lartiste Mel Bochner, Quel est ton vritable