Lucie-Bougon - ClubErudits Hallucines

Contents

Landmarks

Leclubdesruditshallucins

Marie-LucieBougon

EditionsduChatNoir

Notedelditeur

Ce roman est n dune nouvelle ponyme parue dans lanthologie MontresEnchantesetdontilconstituelasuitedirectebienquetotalementindpendant danssacomprhension.Toutefois,afindevousfamiliariserplusfacilementavec les personnages atypiques de ce groupe de scientifiques et de curieux, nous avons ajout en guise de prologue la nouvelle originelle Le club des rudits hallucins.

SocitsavantedesamisdelandrdeListeinformelle

Membresfondateurs:

Mirandol Brussire, docteur en physique exprimentale, professeur des universitsenretraite

BarberineFricka,respectablevoyanteaffilielordresotriquedubassin parisien

VictorCastieux,explorateuretauteurdecarnetsdevoyages Jeunegnration:

EugniaBrussire,filleadoptiveetassistanteduprofesseurBrussire

Eusbe dOrlille, licenci de sciences physique, assistant du professeur Brussire

AlcibiadedeVoraise,esthte,richebienfaiteuretduellistederenom Anciensmembres:

Gustave******,ingnieur.

AlphonseTournai,tudiantenphysiqueexprimentale

GrgoriadAlesay,conseillreetrudite

PROLOGUE

Flicie!Lepetitdjeuner,silvousplat.scriaMonsieurdOrlilleen agitantdoucementlapetiteclochettedebronzequisetrouvaitsursonsecrtaire.

Ilstaitlevdebonmatincejour-l,maisseslonguesablutionsavaientretard lemomentdedgustersonen-cas,etleffortintensequilavaitdfournirpour trouver une chemise saccordant avec sa redingote gris perle lui avait ouvert lapptit.Pournepasperdreplusdetemps,ilavaitdciddeprendresacollation danssontude,etsiFliciesedpchaitunpeu,ilauraitpeut-treloccasionde terminer la lecture du trait de mtallurgie quil avait abandonne la veille, vacillant de fatigue. Le soleil illuminait dj firement les grandes avenues parisiennesencematindumoisdemarsetlesfaisceauxdorsstriaientleslames du parquet de chne. Le jeune aristocrate, ravi de cette luminosit tout fait adquatelalecture,souritensecarrantdanssonfauteuilLouisXV.Sansplus attendre,ilsaisitlegrosouvrageetsemitchercherlapageprcisesurlaquelle ilstaitendormilanuitprcdente,jurantcoupsdesilicates,deprotoxydeset dautrestermestechniquesquilntaitpasbiensrdavoircompris.

Eusbe dOrlille tait un jeune homme enthousiaste et instable, souvent accapar par des passions fugaces pour diverses disciplines savantes, de la rhtorique antique ltude de la vgtation forestire. Il stait, pendant un temps, particulirement intress lalchimie, et avait dpens des sommes mirobolantes en manuscrits, prfrant par-dessus tous ceux qui arboraient des enluminuresauxrsonancespaennes.Sondernierengouementendatetaitla mcanique. Oh, et quel fascinant domaine ! merveill par lExposition Universelle, pantois dadmiration devant les engrenages, les poulies et les chaudiresvapeur,ilstaitimmdiatementpiqudaccumulertoutlesavoir possiblesurlaquestion.Cestainsiquilavaitfaitlaconnaissanceduprofesseur Brussire, et cette rencontre lui avait ouvert des perspectives extraordinaires lorsquelesavantbarbulavaitinvitvenirvisitersonatelier.Del,sanouvelle passion avait pris des dimensions incroyables et sil tentait dsormais de comprendrelamtallurgie,ctaitparsoucidemieuxapprhenderlamcanique.

Cependant,alorsquilparcouraitlespagesrbarbativesdutraitenquestion,il regrettadenepasavoirdemandauprofesseurBrussirequelquesouvragesde rfrenceavantdeselancerparlui-mmedanscettetchefastidieuse.

LepaslourdetpressdeFlicieinterrompitsalecturedifficileetcefutavec joie quil huma lodeur dlicieuse de la brioche encore tide. Rendue quelque peupataudeparlge,Fliciemanquaderenversersonplateausurlesolavant de dposer la collation sur le secrtaire dEusbe, observant avec suspicion le

volume quil tudiait. Ce pauvre garon lisait trop, ne mangeait pas assez, passaituntempsindcentchoisirseshabitsetfinissaittoujoursparressembler un pouvantailcoiff. Oudu moins, cestce quillui voquait,car la mode adopte rcemment par les beaux messieurs laissait Flicie quelque peu perplexe:quellepouvaitdoncbientrelutilitdechapeauxsiimmensesquils seheurtaientauxembrasuresdesportes?Heureusement,cefilsOrlilletaitbien gentil,etaprslatyrannieduvieuxdavant,Flicietaitplusqueraviedtrela domestique du garon, si maigre et apprt fut-il. Elle se surprenait parfois sinquiter pour lui, et se demandait si un galapiat aussi coquet allait bien pouvoirunjoursetrouverunefille.Flicienauraitpasvraimentapprcique sonmaripasstautantdheuresdanssoncabinetdetoiletteetcommandtautant deparfumssirupeux.Peut-trelesdemoisellesdemaintenantapprciaient-elles cegenredesoins,aprstout,Flicienensavaitrien.Maispourelleentouscas, ctaitunbrinridiculedepassertoutcetempssepomponnerquandontaitun monsieur.

Mercibeaucoup,FlicieluiditEusbealorsquelleluiservaitduth.Il taittoutdemmegentilcegaron,toujoursrespectueux,sedit-elleenlevoyant tirer une jolie montre gousset de la poche de son habit, oui, une bien belle montre, trs lgante, avec plein de gravures. Elle indiquait deux heures cinq, pourtant. Flicie savait bien que les cloches de lglise venaient peine de sonner dix coups. Un joli bijou, mais pas bien utile. Le jeune matre avait d oublierdelaremonter,maispourtant,illaregardaitdunairabsorb.Fliciese retintdepousserungrandsoupiretdeconseillerEusbedeprendreplusde brioches. Dcidment, ce garon tait bien perturb, peut-tre mme tait-il malade.ElledemanderaitFirmindevrifiersilnavaitpaslairsouffreteux quandillaidaitshabiller.Ellenepouvaitpaslefaire,elle,non,ellenavait pasvumonsieurEusbedvtudepuisquiltaittoutpetit,etaujourdhui,cene seraitplustrsconvenable.

FliciesortitdelapiceenclaudiquantunpeuetEusbeseditavectristesse quelleseraitprochainementtropgepourtresonservice.Soupirantcette ide,ildcoupaunetranchedebriocheetytalagnreusementlaconfiturede cerisesquisetrouvaitdanslepetitrcipientdefaenceapportparFlicie.Se lchant les lvres dune faon fort peu lgante, Eusbe se replongea dun air rsolu dans le trait de mtallurgie qui semblait le provoquer de ses formules complexes.Lerendez-vousorganisparleprofesseurBrussirenavaitlieuque danslaprs-midietlejeuneruditcomptaitbienutilisertoutletempsquilui restaitdmlerlesmystresscientifiquesdelouvrage.Quellehonteceserait

que den savoir moins que ce fat de Voraise, toujours prt se vanter de ses dernires dcouvertes ! Stimul par cette ide, Eusbe enfourna le plus vite possiblesasucculentebriocheetseplongeavoracementdanslesmystresdela mtallurgie.

Alcibiade de Voraise tait lui-mme, cet instant, travers par des penses bienpeuamicaleslgarddEusbedOrlille.direvrai,cefauxsavantla mine berlue avait tout de limposteur ! Ses connaissances trompeusement encyclopdiques masquaient une profonde vacuit de culture, ses phrases sonnaient trop habiles pour tre sincres et surtout, son bouc dmod tait absolument grotesque. Accapar par son reflet dans la psych de ses appartements,Alcibiadedtaillaitsataillefineetsextasiaitdevantsesmollets bien tourns. Eusbe dOrlille tait loin dtre aussi bien fait que lui et il ne manquerait pas de le lui faire remarquer en portant ce costume. Ah, Eusbe pouvait bien parler de mathmatiques, dcrire ses atermoiements devant lExpositionUniverselleoulivrersesbrillantesanalysesconcernantleschiffres indiqusparsamontre,maisimpossiblequilsoitaussibeau!Alcibiadetaiten effetparticulirementsatisfaitdesapropreapparenceetseplaisaitcontempler danslemiroirsescharmantesbouclesblondes,sonnezbiendessinetsestraits finsquidonnaienttouteslesfemmeslenvieirrpressibledelematerner.Ah, comment rsister devant tant de candeur et de grce ! Il stourdit lui-mme dmoisfortpeumodestesenajustantsonjabotlilas,puis,conquisparledernier regard quil jeta son reflet, descendit lescalier en spirale de son htel particulieravantdeslancerdansleffervescenceparisienne,appelantunfiacre pourserendredanslequartierdestailleurs.

Oh,lebeaubrocartbleu,lesuperbedrapgorge-de-pigeon!Etlesfoulardsen soie de Gnes ! Dans la boutique, Alcibiade ne savait plus quelle splendeur choisirethsitaitdevantchaquepossibilit.Finalement,nepouvantsedcider,il sortirdelchoppedutailleurpourserendrechezuneautreenseigne,croyant danslesvertusdelacomparaison.Versmidi,ilconsultasamontrequiindiquait deux heures huit et heurta Alphonse sans le reconnatre. Alphonse ne sen formalisapas.Aprstout,ilntaitquelepetitassistantduprofesseurBrussire etcentaitguretonnantquunnoblemonsieurnaitpasdaignremarquerson visage.Dautantplusquecelui-cinavaitriendemmorable,rienvoiravecla face burine et sauvage de Monsieur Castieux, qui impressionnait tant la gent fminineavecsesanecdotesconcernantleslesduPacifiquequilavaitvisites.