Victoria Charles - Sandro Botticelli: Perfect Square

La place quoccupait Botticelli parmi les artistes italiens de son temps tait certes honorable, mais elle navait rien dexceptionnel. De son vivant, dj ses contemporains parlaient souvent de sa vie et de son uvre de faon assez circonstancie, sans pourtant lui accorder de place particulire par rapport ses coreligionnaires. Ceci est aussi vrai des sources littraires de lpoque, en particulier telles que nous les livrent les mmoires d Albertini et les travaux de Francesco Billi , ou encore l Anonymus de Gaddi. Plus tard, Botticelli tombe de plus en plus dans loubli. Au XIX e sicle, alors que lintrt pour lart italien ancien se remet crotre peu peu, celui-ci se porte dabord sur les svres reprsentations dune dvotion fanatique du Prugin plutt que sur les uvres de Botticelli. Mme un admirateur aussi enthousiaste de lart de la Renaissance que Jacob Burckhardt ne place pas Botticelli aussi haut que ses contemporains florentins dans son Cicerone ; la description quil en donne relve moins les talents que les faiblesses de lartiste. Cest ainsi quil crit :

Botticelli na pas t la hauteur de ses ambitions. Il aimait exprimer la vie et les motions travers un geste temptueux et peignait souvent dans une prcipitation maladroite. Il aspirait un idal de beaut et est rest fig sur un type de visage rcurrent et reconnaissable de loin, quil reproduit ici et l de faon fort charmante, mais souvent plutt avec rudesse et sans y mettre de vie.

Dans son histoire de la peinture italienne, Cavalcaselle juge lartiste avec encore plus de condescendance et le range bien loin derrire son compatriote Domenico Ghirlandaio. Et, il faut le reconnatre, les critiques svres adresses par Morelli , sont tout aussi injustes.

Les premiers gratifier Botticelli dune plus grande attention furent les peintres anglais. Depuis lengouement des Prraphalites pour les crations de Botticelli et en particulier Dante Grabriel Rossetti, et Burne-Jones la considration quon lui voue na cess daugmenter de faon trs nette, donnant lieu la publication de multiples monographies populaires ainsi que de quelques ouvrages scientifiques fondamentaux. Aujourdhui ses uvres comptent parmi les plus recherches du march de lart.

On sait assez peu de choses sur la vie mme de Botticelli. Vasari, lune des sources les plus exhaustives, relate quelques anecdotes sur la vie de lartiste, mais ce quil nous livre par ailleurs sur sa personne et son travail, se rvle parfois peu fiable la lumire des documents que lon a dcouverts depuis. Cest pourquoi, cest avant tout sur ses uvres et leur interprtation que nous devons fonder notre critique, pour en tirer les conclusions qui sim posent quant sa personnalit.

La Vierge et lEnfant avec le jeune
saint Jean-Baptiste , vers 1470-1475.

Tempera sur panneau de bois, 90 x 67 cm.

Muse du Louvre, Paris.

La Vierge lEnfant et deux anges , vers 1470.

Tempera sur panneau de bois, 100 x 71 cm.

Museo e Galleria Nazionale di Capodimonte, Naples.

Mais mme l, il est parfois difficile de livrer une opinion rigoureuse. Tout dabord parce quil est dlicat de distinguer, parmi toutes les uvres reproduites avec une fidlit intentionnelle par ses lves et ses imitateurs, lesquelles sont rellement de la main de Botticelli, mais galement parce que le foisonnement cratif de lauteur en rend linterprtation difficile. De ce fait, ces uvres ont tendance nous induire souvent en erreur l o linformation fait dfaut. Et pourtant, sil y a un artiste qui requiert de la rigueur dans son analyse, cest bien Botticelli. Dans les lgendes et les commentaires de ses tableaux, et en particulier de ses dessins pour la Divine Comdie de Dante, le peintre nous indique lui-mme la voie suivre.

Nous savons aujourdhui que la carrire de Botticelli stend sur les trois dernires dcennies du XV e sicle : il ralisa sa premire uvre connue en 1470, la dernire daterait de 1500. Mais il est possible que quelques tableaux aient vu le jour avant ou surtout aprs cette priode, car il est peu probable que Botticelli nait plus rien produit entre 1500 et lanne de sa mort, en 1510.

Botticelli devint un artiste, alors que les matres anciens comme Uccello, Castagno ou Donatello taient toujours en activit ; en fait, il fut non seulement llve dun des artistes les plus fameux de son temps, Fra Filippo Lippi, mais il eut aussi pour amis Lonard de Vinci et Michel-Ange. Et pourtant, aucun dentre eux ne la vritablement influenc. Ses ralisations ne possdent ni la sobre splendeur dun Masaccio ou dun Andrea del Castagno, ni la libert matrise qui caractrise dj les uvres de jeunesse des artistes de la Haute Renaissance italienne. Les uvres de Botticelli sont lexpression picturale la plus pure et la plus singulire de cette culture, dont il est lenfant authentique, qui culmina avec Laurent le Magnifique et son entourage.

La prcdente gnration dartistes rcolta apparemment sans efforts ce que toute une ligne gniale avait conu et obtenu pniblement avant elle. De surcrot, lart de cette jeune gnration de Florentins apparut comme un ple reflet des prodiges raliss par les matres anciens. Ces disciples, dont Fra Filippo fut le meilleur professeur et guide avec son sens de la ralit et son don de la composition, ne sont plus des pionniers comme leurs prdcesseurs et matres, mais au contraire, ils sapproprient leurs acquis, les dveloppent dans certaines directions, prparant ainsi le moment o lart connatra un renouveau. Les frres Antonio et Piero Pollaiuolo ainsi quAndrea Verrocchio, tous trois matres de la sculpture du bronze, parent les formes de leurs toiles de rondeurs pleines et deffets pittoresques ; grce leurs couleurs vernies si originales, les sujets quils peignent se teintent de nuances lumineuses, auxquels ils offrent ensuite pour cadre les paysages idylliques de la valle de leur Arno natal.

Madone la roseraie, vers 1470.

Tempera sur panneau de bois, 124 x 65 cm.

Muse des Offices, Florence.

La Vierge lEnfant , 1469-1470.