Du mme auteur
Mai 1968 : la brche
Premires rflexions sur les vnements
(en collaboration avec Edgar Morin
et Jean-Marc Coudray)
Fayard, 1968
lments dune critique de la bureaucratie
Droz, 1971
nouv. d. remanie, Gallimard, Tel , 1979
Le Travail de luvre. Machiavel
Gallimard, 1972, 1986
Un homme en trop
Essai sur LArchipel du Goulag
Seuil, Combats , 1975
Points Essais , no 184, 1986
Sur une colonne absente
crits autour de Merleau-Ponty
Gallimard, 1978
Les Formes de lhistoire
Gallimard, 1978
et Folio Essais , 2000
LInvention dmocratique
Les limites de la domination totalitaire
Fayard, 1981, 1994
Mai 1968 : la brche
Vingt Ans aprs
(en collaboration avec Edgar Morin
et Cornelius Castoriadis)
Bruxelles, Complexe, 1988
et Fayard, 2008
La Modernit de Dante
in La Monarchie de Dante
Belin, 1993
crire. lpreuve du politique
Calmann-Lvy, 1992
Pocket, 1995
La Complication
Retour sur le communisme
Fayard, 1999
Le Temps prsent
crits (1945-2005)
Belin, 2007
La premire dition de cet ouvrage a t publie
dans la collection Esprit ,
sous la direction dOlivier Mongin
ISBN 978-2-02-122846-5
(ISBN 2-02-09174-7, 1re publication)
ditions du Seuil, 1986
Cet ouvrage a t numris en partenariat avec le Centre National du Livre.
Ce document numrique a t ralis par Nord Compo.
Sommaire
Avant-propos
Penser, repenser le politique, dans le souci de prendre en charge les questions qui sourdent de lexprience de notre temps, ce projet, lon ne saurait assurment sy attacher sans se demander : quest-ce que le politique ? Est-ce dire quune rponse en forme de dfinition soit au dpart ncessaire, ou mme que lon doive se mettre en qute de ce genre de rponse ? Ne faut-il pas plutt convenir que toute dfinition, toute tentative de fixer lessence du politique entrave le libre mouvement de la pense, et que celui-ci tout au contraire ne se soutient qu la condition de ne pas prjuger des limites du politique, de consentir une exploration dont les chemins ne sont pas connus davance ? Les essais que nous rassemblons dans ce recueil relvent effectivement de lexploration. On ne trouvera pas en eux les tapes dune recherche systmatique. Faut-il le prciser : ils nont pas t rdigs pour former les chapitres dun livre. Leur regroupement en fonction dun petit nombre de thmes ne saurait dailleurs susciter cette illusion, tant leur disparit reste vidente. Jajoute que certains sont des crits de circonstance, telle la Relecture du Manifeste communiste occasion dune rapprciation imprvue du projet de Marx ; tandis que dautres, sur la Rvolution franaise, sur Tocqueville, par exemple, ou sur religion et politique, sont issus de travaux dun sminaire ; et dautres encore, tel Mort de limmortalit ? , le produit dune interrogation dcide, mais partir de donnes trs insuffisantes.
Quelle que soit leur origine et le sujet abord, ils ne sapparentent que par lintention qui sy manifeste de chercher les signes du politique l o ils sont, le plus souvent, soit ignors, soit dnis, ou par une commune disposition accueillir et identifier ces signes. Jemploie dessein cette double formule pour faire entendre que nous nous portons la rencontre du politique par un mouvement dlibr, certes, mais qui se trouve lui-mme dans la dpendance de lexprience que nous faisons, ici et maintenant, sous une forme autrefois inconnue, de notre mode dexistence politique ou, pour reprendre le langage dAristote, de notre animalit politique.
Penser le politique au sens que nous prtons ces mots relve donc dune intention diffrente de celle de la science et de la sociologie politiques, et nous enjoint dinterroger nos liens avec la tradition de la philosophie politique. Disons un mot et de ce qui nous loigne de lune et de ce qui nous rapproche de lautre. Science et sociologie politiques sattachent un domaine qui a t amnag en fonction des impratifs de la connaissance positive impratifs dobjectivit et de neutralit et, en tant que tel, circonscrit distance dautres domaines dfinis, par exemple, comme conomique, social, juridique, thique, religieux, esthtique On verra notamment dans lessai intitul Permanence du thologico-politique ? pourquoi nous jugeons une telle division non, certes, accidentelle, mais artificielle. Quil suffise dobserver dans cette brve prsentation quelle perd toute pertinence ds lors quon considre la plupart des socits que nous ont fait connatre les anthropologues et les historiens ; quelle tmoigne, en revanche, dune forme de socit advenue en Occident une date relativement rcente, compte tenu de ltendue de lhistoire de lhumanit ; que, cette forme, il importe justement de la distinguer des formes antrieures et, qu ne pas le faire, la science savre impuissante lucider et justifier son fondement. Ainsi, nul doute quune critique de ce genre ne nous reconduise dans lorbite de la philosophie politique. La recherche que suscite la diffrence des formes de socit, celle des catgories qui permettent den rendre raison et de fonder le jugement politique furent son origine et sont demeures, tant quelle tait vivante, au cur de son entreprise. Cette recherche interdit de dsigner la politique comme un secteur particulier de la vie sociale, elle implique au contraire la notion dun principe ou dun ensemble de principes gnrateurs des relations que les hommes entretiennent entre eux et avec le monde. Le plus loquent tmoignage de ce dessein est sans doute le plus ancien. Ce que je viens dappeler forme de socit, Platon (ou Socrate) fut sans doute le premier en forger lide lexamen de la politeia. Nous sommes accoutums traduire le mot par rgime. Il est prsent pris dans une acception restrictive qui risque de nous garer. Comme la fait justement observer Lo Strauss, le mot ne mrite dtre retenu que si nous lui conservons toute la rsonance quil gagne quand on lemploie dans lexpression dAncien Rgime. Alors se combinent lide dun type de constitution et celle dun style dexistence ou dun mode de vie. Encore faut-il prciser le sens de ces termes, linvitation de Strauss. Constitution nest pas prendre dans son acception juridique, mais entendre comme forme de gouvernement au sens anglo-saxon du terme ; je me risquerai dire comme la structure, conue comme lgitime, du pouvoir, dans ses fonctions excutive, lgislative et judiciaire (quelles soient ou non explicitement diffrencies), qui conditionne elle-mme la distinction lgitime des statuts sociaux. Quant style dexistence ou mode de vie, ces termes devraient voquer tout ce qui peut se trouver mis en jeu dans une expression telle que american way of life : des murs et des croyances qui tmoignent dun ensemble de normes implicites commandant la notion de ce qui est juste et injuste, bien et mal, dsirable et indsirable, noble et bas. De fait, lenqute conduite par Platon dans la Rpublique dont il faut rappeler quelle tait guide par la recherche de ce que serait en thorie le bon rgime , loin de fixer les limites de la politique, mobilisait une interrogation qui portait tout la fois sur lorigine du pouvoir et les conditions de sa lgitimit, sur la relation commandement-obissance dans toute ltendue de la socit, sur les rapports de la cit et de ltranger, sur les besoins sociaux et la rpartition des activits professionnelles, sur la religion, sur les fins respectives de lindividu et du corps social cela jusqu faire reconnatre une analogie entre la constitution de la psych et la constitution de la polis, et enfin, ce qui nest pas moins remarquable, jusqu suggrer que le discours sur la
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