Librairie Arthme Fayard, 2009
978-2-213-66065-3
D u mme auteur
la fin de louvrage, p. 303
Limportant nest pas de vivre,
mais de vivre selon le bien.
S ocrate
Il y a plus de joie donner qu recevoir.
J sus
Que tous les tres soient heureux.
Dj en vie ou encore natre, quils soient tous parfaitement heureux.
L e B ouddha
avant-propos
tre ou avoir ?
La question est aussi vieille que lhistoire de la pense. Et pourtant elle se pose aujourdhui avec une acuit toute particulire. Nous sommes en effet plongs dans une crise conomique dune ampleur rare, qui devrait remettre en cause notre modle de dveloppement fond sur une croissance permanente de la production et de la consommation. Ntant pas conomiste, je ne saurais me prononcer sur les tenants et les aboutissants de la situation actuelle. Mais, dun point de vue philosophique, je pressens quelle peut avoir un effet positif, et ce malgr des consquences sociales dramatiques que beaucoup subissent et que nous observons tous.
Le mot crise , en grec, signifie, dcision , jugement , et renvoie lide dun moment charnire o a doit se dcider . Nous traversons une priode cruciale o des choix fondamentaux doivent tre faits, sans quoi le mal ne fera quempirer, cycliquement peut-tre, mais srement. Ces choix doivent tre politiques, commencer par un ncessaire assainissementet un encadrement plus efficace et plus juste du systme financier aberrant dans lequel nous vivons aujourdhui. Ils peuvent aussi concerner plus directement lensemble des citoyens par une rorientation de la demande vers lachat de biens plus cologiques et plus solidaires. La sortie durable de la crise dpendra certainement dune vraie dtermination changer les rgles du jeu financier et nos habitudes de consommation. Mais ce ne sera sans doute pas suffisant. Ce sont nos modes de vie, fonds sur une croissance constante de la consommation, quil faudra modifier.
Depuis la rvolution industrielle, et bien davantage encore depuis les annes 60, nous vivons en effet dans une civilisation qui fait de la consommation le moteur du progrs. Moteur non seulement conomique, mais aussi idologique : le progrs, cest possder plus. Omniprsente dans nos vies, la publicit ne fait que dcliner cette croyance sous toutes ses formes. Peut-on tre heureux sans avoir la voiture dernier cri ? Le dernier modle de lecteur DVD ou de tlphone portable ? Une tlvision et un ordinateur dans chaque pice ? Cette idologie nest pour ainsi dire presque jamais remise en cause : tant que cest possible, pourquoi pas ? Et la plupart des individus travers la plante lorgnent aujourdhui vers ce modle occidental qui fait de la possession, de laccumulation et du changement permanent des biens matriels le sens ultime de lexistence. Lorsque ce modle se grippe, que le systme draille ; lorsquil apparat quon ne pourra pas continuer consommer indfiniment ce rythme effrn, que les ressources de la plante sont limites et quil devient urgent de partager ; quand il apparatque cette logique est non seulement rversible mais quelle produit des effets ngatifs court et long terme, on peut enfin se poser les bonnes questions. On peut sinterroger sur le sens de lconomie, sur la valeur de largent, sur les conditions relles de lquilibre dune socit et du bonheur individuel.
En cela, je crois que la crise peut et se doit davoir un impact positif. Elle peut nous aider refonder notre civilisation, devenue pour la premire fois plantaire, sur dautres critres que largent et la consommation. Cette crise nest pas simplement conomique et financire, mais aussi philosophique et spirituelle. Elle renvoie des interrogations universelles : quest-ce qui rend ltre humain heureux ? Quest-ce qui peut tre considr comme un progrs vritable ? Quelles sont les conditions dune vie sociale harmonieuse ?
Les traditions religieuses ont tent dapporter des rponses ces questions fondamentales. Mais parce quelles se sont enfermes dans des postures thologiques et morales trop rigides, parce quelles nont pas toujours t non plus des modles de vertu et de respect de ltre humain, les religions, en particulier les monothismes, ne parlent plus nombre de nos contemporains. Force est de constater quaujourdhui encore de nombreux conflits et bien des violences exerces sur les personnes sont le fait, direct ou indirect, des religions. Linquisition mdivale ou le gouvernement islamiste de lIran actuel donnent lexemple de limpossible rconciliation entre humanisme et thocratie. Et, par-del le modle thocratique, partout dans le monde, les institutions religieuses peinent rpondre la demande de sens des individus, leur offrant davantage du dogme et de la norme.
La question du bonheur vritable, de la vie juste, du sens de lexistence, sest pose pour moi assez tt. Jtais adolescent. La lecture des dialogues de Platon fut une vritable rvlation. Socrate y parlait de la connaissance de soi, de la recherche du vrai, du beau, du bien, de limmortalit de lme. Il abordait sans dtours des questions qui me taraudaient. Et il le faisait dune manire qui me paraissait convaincante, linverse des rponses toutes faites et insatisfaisantes du catchisme de mon enfance. Et puis, quelques annes plus tard, je devais avoir seize ans, ce fut la dcouverte de lInde et particulirement du Bouddha. Divers ouvrages initiatiques et romanesques Siddharta de Hermann Hesse ou Le Troisime il de Lobsang Rampa me conduisirent un remarquable petit ouvrage : LEnseignement du Bouddha daprs les textes les plus anciens , de Walpola Rahula. Nouveau dclic : le message du Bouddha me parlait autant que celui de Socrate par sa justesse, sa profonde cohrence, sa rationalit, son exigence pleine de douceur. Jaurais pu en rester l, tant ces deux matres nourrissaient mon esprit. Pourtant, jallais bientt faire une troisime rencontre dcisive : dix-neuf ans jouvris les vangiles pour la premire fois. Je tombai par hasard sur lvangile de Jean, et ce fut un choc profond. Non seulement les paroles de Jsus sadressaient mon intelligence, mais elles touchaient aussi mon cur. Je mesurai alors le dcalage parfois abyssal entre ses paroles dune incroyable audace qui librent lindividu en le responsabilisant et le discours moralisateur de tant de chrtiens qui enferment lindividu en le culpabilisant.
Depuis plus de vingt-cinq ans, le Bouddha, Socrate et Jsus sont mes matres de vie. Jai appris les frquenter, me frotter leur pense, mditer leurs actes, leurs diffrences et leurs convergences. Ces dernires mapparaissent finalement plus importantes. Car, malgr la distance gographique, temporelle et culturelle qui les spare, leurs vies et leurs enseignements se recoupent sur des points essentiels. Ce tmoignage et ce message, qui maident vivre depuis tant dannes, jai eu envie de les faire partager. Je suis convaincu quils rpondent aux questions et aux besoins les plus profonds de la crise plantaire que nous traversons.
Car la vraie question qui se pose nous est la suivante : ltre humain peut-il tre heureux et vivre en harmonie avec autrui dans une civilisation entirement construite autour dun idal de l avoir ? Non, rpondent avec force le Bouddha, Socrate et Jsus. Largent et lacquisition de biens matriels ne sont que des moyens, certes prcieux, mais jamais une fin en soi. Le dsir de possession est, par nature, insatiable. Et il engendre frustration et violence. Ltre humain est ainsi fait quil dsire sans cesse possder ce quil na pas, quitte le prendre par la force chez son voisin. Or, une fois ses besoins matriels essentiels assurs se nourrir, avoir un toit et de quoi vivre dcemment , lhomme a besoin dentrer dans une autre logique que celle de l avoir pour tre satisfait et devenir pleinement humain : celle de l tre . Il doit apprendre se connatre et se matriser, apprhender le monde qui lentoure et le respecter. Il doitdcouvrir comment aimer, comment vivre avec les autres, grer ses frustrations, acqurir la srnit, surmonter les souffrances invitables de la vie, mais aussi se prparer mourir les yeux ouverts. Car si lexistence est un fait, vivre est un art. Un art qui sapprend, en interrogeant les sages et en travaillant sur soi.